Épisode 2 : Les premières commandes importantes

(Temps de lecture estimé : 3 mn)

Dans notre épisode précédent, le travail du jeune artiste Caravage n'a pas laissé indifférent.

Les commandes vont donc se multiplier pour l'artiste, particulièrement sur des sujets religieux. En effet, suite à la réforme protestante, l'Église catholique cherche à ré-affirmer son pouvoir au travers notamment d'œuvres d'art.

Fidèle à lui-même Caravage va répondre à ces commandes, mais à sa façon...

II- Les premières commandes importantes

Un art religieux très particulier

À partir de 1598, Caravage reçoit beaucoup de commandes de sujets religieux. Dans ce domaine, il innove en interprétant ces thèmes sacrés de façon personnelle et humaine. Ses personnages ne seront pas mystifiés mais au contraire humanisés, afin de les rendre plus proches des croyants.

Cette vision de la religion était déjà visible à travers sa version de Marie Madeleine repentante réalisée entre 1593 et 1594 : le fait qu’elle soit représentée dans un endroit clos et visiblement rattaché à la terre plutôt qu’au monde céleste, humanise non seulement la scène mais aussi le personnage. Seuls les objets éparpillés sur le sol permettent de reconnaître Marie Madeleine. Le spectateur ne considère alors pas cette femme comme une sainte mais comme une humaine qui a péché et qui se repent.

La différence est dans l’approche du spectateur et donc de l’art : au lieu de représenter une Madeleine empreinte de lumière, accompagnée d’anges ou bien accueillie par Dieu dans les cieux, Caravage choisit de considérer ce personnage comme une femme avant tout.

Cette nouvelle vision de la religion est à la base de la conception même de la production de Caravage.

Marie Madeleine repentante - Caravage, 1593

Une technique et une sensibilité qui séduisent

Le succès de Caravage va se confirmer grâce à des commandes publiques, comme en 1599 avec La Vocation et Le Martyre de saint Matthieu pour la chapelle Contarelli à Saint-Louis-des-Français. Dans ces deux tableaux, Caravage utilise la technique du clair-obscur, qui consiste à créer des jeux d’ombre et de lumière pour mettre en avant certaines parties du tableau.

Vocation de Saint Matthieu - Caravage, 1599
Martyre de Saint Matthieu - Caravage, 1599

Dans La Vocation, ces jeux de lumière lui permettent d’attirer l’attention sur le doigt du personnage, qui n’est autre que Jésus pointant saint Matthieu. Dans Le Martyre de saint Matthieu, Caravage a choisi de mettre en avant la gestuelle dynamique du bourreau plutôt que saint Matthieu qui est presque évincé de la scène.

Outre la beauté de ces toiles, ces commandes illustrent la révolution amorcée par le peintre, qui séduit même des personnes pieuses et s’introduit dans les lieux saints et de prière. Mais la commande de Saint Matthieu et l’ange va montrer les limites de la tolérance du clergé face à cette révolution.

Un artiste polémique

En 1599, l’église romaine Saint-Louis-des-Français commande à Caravage un tableau représentant le thème de saint Matthieu et l’ange pour décorer la chapelle Contarelli.

La première toile se voit refusée par l’église pour cause de non-conformité aux canons habituels. Caravage est donc contraint de réaliser une seconde version, occasion rare et précieuse de mieux comprendre le peintre : ces deux tableaux nous permettent d’observer l’obstination de l’artiste à représenter des figures religieuses en gommant la perfection et une partie de la symbolique d’usage en faveur de l’humanité des personnages et du naturalisme des mises en scène.

En observant une photographie de la première version, le spectateur est d’emblée fasciné par la proximité entre les deux figures : tandis que le saint est représenté sous les traits d’un homme assis dont la main est guidée par l’ange, ce dernier, debout, semble dominer le saint qui n’est encore qu’un homme, tel un maître qui enseigne à son disciple. Si les ailes de l’ange rappellent sa nature divine, le saint est quant à lui empreint d’humanité, il n’a pas d’auréole par exemple.

Première version de saint Matthieu et l'ange - Caravage, 1602

Dans la seconde version de saint Matthieu et l’ange, Caravage modifie la mise en scène en représentant un saint désormais noble, dont le corps nu et vieillissant est recouvert par de magnifiques draperies soulignant ses mouvements. L’ange se voit redessiné pour être davantage à l’image de sa nature divine.

Seconde version de Saint Matthieu et l'ange - Caravage, 1602

Le moment représenté paraît alors très différent d’un tableau à l’autre : alors que le premier reflète la difficulté de comprendre le message divin, le second témoigne du rôle du saint dans la diffusion du christianisme. L’ajout d’une auréole au dessus de la tête de saint Matthieu appuie également son rang de saint homme.

Malgré ces modifications, Caravage conserve néanmoins son idée d’humaniser les scènes sacrées. On le voit nettement à travers le mobilier modeste qui rappelle l’activité de collecteur d’impôts de saint Matthieu. La manière de représenter le corps du saint met également en avant cette nature humaine et imparfaite du personnage. Les veines gonflées du pied et de la main qui tient l’encrier, ainsi que les rides du front et le froncement des sourcils, illustrent l’effort du corps et de l’esprit pour transcrire les explications de l’ange et fixer du regard le personnage céleste.

Ces deux versions reflètent donc parfaitement la volonté de Caravage de conserver l’empreinte humaine au sein d’une représentation sacrée, malgré l’obligation de revoir ses mises en scène et la représentation de ses personnages. Lors de la présentation de la seconde œuvre, de nombreuses personnes furent choquées de voir un saint humanisé. L’œuvre est néanmoins demeurée à Saint-Louis-des-Français.

Vers 1605-1606, Caravage réalise un autre tableau significatif de sa vision de la religion empreinte d’humanité : il s’agit de La Mort de la Vierge, une scène tirée des textes apocryphes. Refusé par les prêtres de l’église romaine Santa Maria della Scala, le tableau trouve rapidement un acquéreur, qui plus est un des plus grands et des plus estimés collectionneurs de l’époque, le duc de Mantoue, ce qui a permis à cette Mort de la Vierge non seulement de ne pas tomber dans l’oubli, mais aussi de contribuer à la renommée de Caravage en tant que peintre du vrai. Aujourd’hui au Louvre, c’est l’une des toiles les plus connues de Caravage.

La Mort de la Vierge - Caravage, 1605-1606

Malgré le caractère dérangeant de ses œuvres, Caravage est donc en pleine ascension. Malheureusement pour lui, celle-ci va prendre brutalement fin le 28 mai 1606.


Épisode 3 : Le départ de Rome

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L'auteur

Aurélie, 26 ans, chargée d'études en tourisme, Paris.

Passionnée par les voyages et les arts, elle rédige des articles autour du thème de l'art en Europe.

©UneToucheD'Histoire - Textes d'Aurélie Margerin; Éditorial Cédric Soubrié. Contactez-nous pour réutiliser les images ou le texte : e-mail.

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